La parité devrait être atteinte aux prochains JO 2024 avec 50% d’athlètes femmes. Penser l’égalité femmes-hommes dans le sport implique qu’on prenne en considération des éléments quantitatifs mais aussi qualitatifs selon vous ?
Tout à fait. On ne peut pas appréhender l’égalité qu’au travers de données numériques car l’égalité se manifeste aussi d’un point de vue qualitatif. J’entends par là les conditions d’accès et de pratique du sport pour les femmes. Il ne s’agit donc pas seulement de créer une égalité mathématique parfaite entre les hommes et les femmes, mais aussi de faire en sorte que les femmes aient les mêmes possibilités que les hommes de s’engager dans le sport. Cela implique de s’intéresser à l’environnement dans lequel va se réaliser la performance sportive : les femmes vont-elles pouvoir pratiquer dans un environnement sécurisant ? Ou au contraire, vont-elles devoir subir des comportements misogynes et sexistes qui peuvent nuire à la performance et à la place des femmes dans le sport ? L’égalité passe aussi par des comportements respectueux, bienveillants, par l’équité dans le traitement des équipes et des acteurs engagés quelque soit leur sexe. Or, il est très difficile de quantifier ce type d’inégalités. Je les observe en tant que sociologue et j’ai pu, comme d’autres, les vivre aussi en tant que sportive et dirigeante. Et c’est là qu’on comprend que le chemin est encore long ! Et les discours égalitaristes ne peuvent pas se passer d’actes concrets qui viennent incarner ces discours. On constate encore trop fréquemment un fort décalage entre les discours et les comportements. Aujourd’hui, quand bien même l’égalité femmes-hommes est une évidence et fait consensus, la conscientisation n’a pas encore débouché sur de réels changements de comportement. Cela demande du temps.
« Aujourd’hui, quand bien même l’égalité femmes-hommes est une évidence et fait consensus, la conscientisation n’a pas encore débouché sur de réels changements de comportement. »
Cette égalité peut-elle se manifester sur le traitement et la considération qu’on aura de la performance sportive féminine et masculine ?
Imaginons qu’il y ait une véritable égalité dans la médiatisation des sportifs et des sportives à la télévision, notamment en termes de temps d’antenne. Y aurait-il pour autant égalité dans le traitement des performances masculines et féminines ? Pas forcément, car cela dépend de la façon dont on va en parler, sous quels angles, dans le discours mais aussi à travers les images choisies pour illustrer le propos.
Par ailleurs, on constate aujourd’hui qu’apriori – même si cela n’est pas vérifié – les athlètes féminines et masculins vont être traités de la même façon par l’ANS (Agence Nationale du Sport). Mais malgré tout, j’ai fait le constat, au travers de différents entretiens, que ces droits n’étaient jamais complètement acquis pour les sportives qui doivent se battre au quotidien pour être reconnues au même titre que les hommes.
Sur un terrain plus académique, de nombreux travaux de recherche viennent aujourd’hui contribuer à améliorer la performance des sportives et sportifs. Or, j’ai découvert récemment une statistique inquiétante à ce sujet : moins de 5% des travaux de recherche sur la question de la performance sportive concernent la performance féminine. Des travaux qui peuvent, par exemple, porter sur la conséquence du cycle menstruel sur la performance sportive (la recherche française commence à s’y intéresser depuis 1 an et demi seulement), sur la problématique de la maternité mais aussi sur la question des équipements sportifs et là on observe des choses assez terribles. Un constat avait été fait sur la récurrence des croisés (rupture des ligaments croisés au niveau du genou) chez les footballeuses, plus que chez les hommes. On a voulu comprendre pourquoi les femmes se blessaient plus souvent que les hommes et des études ont révélé la responsabilité des chaussures qui avaient été conçues et fabriquées à partir de repères masculins. Or, notre physiologie est différente, donc notre posture aussi. Aujourd’hui, des initiatives émergent et des équipements adaptés aux femmes apparaissent. On pourrait multiplier les exemples. L’équipement des sportives et sportifs soulève de très nombreux enjeux d’égalité. En termes de reconnaissance de la performance des sportives : bien sûr qu’elle reste aujourd’hui bien moindre que celle des hommes. Pour faire la Une des médias quand on est une femme, il ne suffit pas de performer, il faut ultra-performer. Et on constate encore trop souvent que des articles portant sur la performance féminine vont saluer l’homme qui a permis à cette performance de s’accomplir (l’entraineur, le coach, le frère…) ou vont s’intéresser aux attraits féminins de la sportive : la maternité d’une athlète ou son attirance pour le maquillage, par exemple.
« Moins de 5% des travaux de recherche sur la question de la performance sportive concernent la performance féminine. »
Y a-t-il une « féminisation » à deux vitesses : sport amateur vs sport de haut niveau ? (cf 38,5% des licences sportives sont délivrées à des femmes) ? Quels sont selon vous les efforts à mener pour encourager la pratique sportive amateure chez les femmes ?
Bien sûr qu’il y a une différence. Je pense qu’on avance beaucoup plus vite dans la pratique amatrice, qui a de beaux jours devant elle : avec le vélo, le running, la gym en salle privée. Il y a aujourd’hui beaucoup d’épreuves exclusivement féminines qui sont nées : Odysséa, La Parisienne… Et ce type de course aura vraiment permis de promouvoir et démocratiser le running chez les femmes en collectif, en leur permettant de s’approprier une pratique sportive libre, sans que cela soit encadré par une fédération ou un club. Pour le sport fédéral amateur, c’est plus compliqué : on a du mal à atteindre 40% de licenciées. Même si ça progresse depuis quelques années, seulement 25% des clubs sportifs amateurs sont présidés par des femmes, il s’agit du secteur d’activité social où ce pourcentage est le plus faible (en général on arrive à 33%). Or, les présidents des clubs ne sont pas tous sensibilisés à ces enjeux de féminisation. Rappelons aussi qu’on ne retrouve pas systématiquement dans tous les clubs une filière masculine et féminine. Ces deux éléments vont rendre beaucoup plus difficile la féminisation de la pratique au sein des clubs qu’en dehors.
Et pour développer à l’échelle fédérale la pratique féminine, cela demande beaucoup plus d’efforts que pour la pratique masculine. Pourquoi ? Car dès le plus jeune âge, ce sont très souvent les parents qui décident de l’activité des enfants. On constate encore aujourd’hui qu’il est plus souvent proposé aux jeunes garçons de pratiquer du sport que pour les petites filles qui vont s’orienter vers une pratique artistique ou des sports présupposés « féminins » : la danse, la gymnastique, le patinage artistique, le cheval… Le sport est depuis longtemps l’activité par excellence attribuée aux hommes et dans laquelle ils vont faire l’apprentissage de leur virilité, être un homme et le rester. Donc les clubs n’ont pas besoin d’aller chercher les garçons mais ils vont déployer des efforts plus importants pour augmenter leurs effectifs féminins. Et cela représente un coût financier que parfois les clubs font le choix de ne pas faire.
« On avance beaucoup plus vite dans la pratique amatrice, qui a de beaux jours devant elle »
Quant au sport de haut niveau, là aussi la question financière est fondamentale et discriminante. Pour atteindre le haut niveau, il faut des moyens importants : de bons équipements, un staff en capacité d’accompagner le sportif ou la sportive sur de nombreuses problématiques, du temps, des conditions matérielles satisfaisantes. Il faut donc des salles adaptées qui peuvent générer de la billetterie. Les sportives jouent encore trop souvent dans les plus petites salles, plus petits stades, à des horaires pas toujours idéaux, qui ne permettent pas de générer autant de chiffres d’affaires que les hommes. Dans le cas du handball, on démontre le contraire, que ça soit en D1 ou avec l’équipe de France féminine, car nos salles sont remplies quelles que soient la ville et la taille de la salle. On revient à la question de la médiatisation et du sponsoring, qui vont justement permettre à la performance d’exister à un niveau professionnel. C’est essentiel.